Notre héritrage familial
Anne Ancelin SHÜTZENBERGE
En résumé : Aïe, mes aïeux !
Nous sommes moins libres que nous le croyons. Sans le savoir, nous continuons la chaîne des générations et payons les dettes du passé de nos aïeux par une sorte de « loyauté invisible ». Anne Ancelin Schützenberger propose d’échapper à ces fils invisibles, à ces répétitions, par le biais de la « thérapie transgénérationelle » ….
Livre résumé en 2003 dans le cadre de la formation en relation d’aide avec Jacques Poujol et Cosette Fébrissy à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) par Suzelle OLIVARI, Liliane LANDRE, Josèphe GERVELAS, Joëlle BIOCHE
Psychothérapeute, groupe-analyste et psychodramatiste de renommée internationale, A.A.Schutzenberger est aussi professeur enseignant à l’Université de Nice. Elle anime en outre des séminaires de moniteurs et thérapeutes de groupe en France, en Europe, et à travers le monde.R
Nous sommes, selon ses dires, moins libres que nous le croyons. Etant chacun un maillon de la chaîne des générations, nous avons parfois à « payer les dettes » du passé de nos aïeux. Toutefois, nous pouvons reconquérir notre liberté, en comprenant ce qui se passe, et vivre ainsi « notre » vie et non celle de nos parents ou grands-parents, ou autres que nous remplaçons à notre su ou insu.
Formée à la psychanalyse freudienne qui tient compte de l’inconscient, considérant aussi l’inconscient collectif dont parlait Jung, l’auteur retient l’idée de transmission de génération en génération, principe développé par Moreno qui pose le postulat du co-conscient et du co-inconscient familial et groupal ; ce qui la conduit à établir cette thérapie basée sur le génosociogramme et le transgénérationnel.
THERAPIE FAMILIALE ET GENOGRAMME /GENOSOCIOGRAMME
C’est l’émergence de la famille, du film et de la vidéo sur la scène thérapeutique qui a mis en évidence l’importance des liens et du mode de communication dans la famille, sa santé ou sa maladie et permis de conceptualiser le génosociogramme en tant qu’outil d’investigation et de traitement.
LE GROUPE DIT DE « PALO ALTO »
Le « groupe de Palo Alto » énonce l’hypothèse du « double-lien », « double-contrainte » (double bind), trouble grave de communication dans la famille : des messages sont émis mais plus que contradictoires, ils sont structurés de telle façon que tout en affirmant verbalement quelque chose, ils affirment en même temps autre chose, autrement, par le langage du corps. Les deux affirmations s’excluent ou se bloquent.
C’est un « double message, doublement contraignant ».
THERAPIE SYSTEMIQUE STRATEGIQUE
C’est un courant de thérapie familiale intergénérationnelle. Les systémiciens de cette école théorique, désignée comme thérapie systémique stratégique, considèrent que la réalité du problème d’un malade désigné est connue du malade et est aussi connue de sa famille.
THERAPIE SYSTEMIQUE STRUCTURELLE
La thérapie familiale structurelle, autre branche de la thérapie systémique, se propose de changer les habitudes relationnelles de la famille, relations devenues stéréotypées.
THERAPIE FAMILIALE PSYCHANALYTIQUE
Des thérapeutes familiaux partent des bases psychanalytiques et tentent une extension des concepts et outils analytiques à la famille.
Leur pratique est fondée sur des entretiens duels afin d’aider la famille à prendre conscience des idées fausses et particulièrement des « reliquats du passé ».
LE GENOSOCIOGRAMME
Le génosociogramme, génogramme enrichi, est un arbre généalogique commenté avec en plus des noms et des prénoms, les lieux, dates ,repères, liens, les principaux évènements de vie : naissances, mariages. Il met en évidence par des flèches sociométriques les différents types de relation du sujet par rapport à son environnement et aux liens entre les différents personnages. Il fait ressortir le dit et le non-dit, les liens et rapports socio-affectifs présents et passés.
En permettant au sujet de découvrir les « trous », les « oublis », les ruptures, les synchronies, et coïncidences de dates de naissance, de mariage, séparation, accidents, apparition de maladies, échecs aux examens, les rapprochements de son monde personnel, de son monde familial, le géno-sociogramme est devenu un outil d’investigation et de traitement. L’auteur travaille le géno-sociogramme en reconstruisant le passé jusqu’à sept ou neuf générations.
La thérapie consiste à observer et à analyser le passé du patient et de sa famille mais aussi ses loisirs, ses passe-temps souvent révélateurs de liens transgénérationnels.
LES OBJECTIFS DU GENOSOCIOGRAMME
– Faire « parler sa vie » et montrer clairement l’histoire de la famille et de la famille d’origine, en mettant en évidence les relations entre les diverses personnes qui la composent
– Découvrir que le monde n’a pas commencé avec nos propres parents mais qu’eux aussi sont les fruits d’un monde qui a commencé d’exister bien avant eux ; c’est-à-dire se situer dans une perspective transgénérationnelle et se mettre à la recherche de ses racines et de son identité.
– Mettre en évidence le processus de transmission transgénérationnelle et les phénomènes de répétition transgénérationnelle à savoir : les loyautés invisibles, les mythes familiaux, les synchronies, les syndromes d’anniversaires, les règles de vie de la famille, les non-dits…
Le génosociogramme permet de comprendre les effets d’un deuil non résolu, des secrets de famille, comprendre une situation comme celle d’un « enfant de remplacement », pointer le travail d’un « fantôme » dans l’inconscient familial.
Il permet aussi de faire ressortir les différents rôles familiaux, comment ils ont pu se transmettre : qui élève les enfants de qui ? ou reprend le métier, la profession, la fuite, la maladie…?
Revenons aux différentes manifestations des liens transgénérationnels.
LES LOYAUTES INVISIBLES
C’est, selon Yvan BOSZORNENYI-NAGY, le concept qui fait de chaque individu un membre d’une unité sociale, la famille régie par un mode de fonctionnement qui lui est propre, fidèle aux lois établies par les ancêtres respectueux des dits et des non-dits, de la justice pratiquée par la famille, des mythes familiaux.
La vie de l’individu est donc déterminée, sinon conditionnée par les règles du système familial. En respectant ces règles, il apporte sa contribution au Grand Livre des Comptes de la famille sinon il y inscrit ses dettes.
En effet selon Vincent de Gaulejac, il existe un capital familial constitué par l’héritage professionnel ou économique mais aussi l’héritage moral, d’où la notion de Comptabilité familiale.
Cette comptabilité équilibrée par des liens familiaux entretenus et renforcés procure une sécurité de base. Sans cette balance entre ce qui est reçu et ce qui est donné dans le système familial, sans le respect des règles de fonctionnement, des symptômes plus ou moins graves peuvent apparaître chez l’individu.
Une mauvaise gestion de la loyauté familiale entraîne donc certaines conséquences.
Citons :
LA PARENTIFICATION
C’est une mauvaise conception des mérites et des dettes qui crée un renversement des valeurs chez un enfant ; il joue le rôle de parent vis à vis de ses parents. Par exemple, une jeune fille aînée d’une famille nombreuse, tiendra le rôle de mère pour soulager sa mère, puis soignera sa mère qui aura vieilli, s’occupera de ses vieux parents et ne se mariera jamais… par devoir.
LE MYTHE FAMILIAL OU LA SAGA
Au sein d’une famille, les règles de fonctionnement sont autant implicites qu’explicites. L’essentiel des règles est tenu pour acquis. Tous les membres respectent les rites qui contribuent à équilibrer les comptes familiaux. Certains de ces rites peuvent être qualifiés de « malsains ». Citons par exemple la vendetta, l’assassinat, la défense saine ou malsaine de l’honneur de la famille.
LE STRESS ET LE RESSENTIMENT
Sentiment d’avoir subi une injustice, compte tenu du Grand Livre des mérites et des dettes.
L’individu s’estime victime d’une non-attention affectueuse, d’une non-reconnaissance. Ce sentiment altère la santé et peut provoquer le cancer ou même la mort.
Toujours par rapport à cette loyauté familiale, certains peuvent éprouver des sentiments tels que :
L’INJUSTICE DU SORT – LA CULPABILITE DU NANTI OU DU SURVIVANT
Ce sont des sentiments ressentis face à l’inégalité du sort quant à la santé, au niveau de vie, à la situation économique. Exemples : être handicapé, orphelin, survivant d’un accident où un proche est mort.
L’ AGRESSIVITE PASSIVE
Cette loyauté peut provoquer chez un individu une sorte d’agressivité qui le pousse à se placer en position de victime, de martyr pour essayer d’atteindre l’autre. C’est le comportement d’une maman qui dirait à son fils : « Va au cinéma, mon chéri ; ne te fatigue pas à mettre une ampoule au plafond ; je peux bien rester dans l’obscurité. »
La loyauté familiale peut aussi se manifester de manière inconsciente, indépendante de la volonté du sujet. Il est alors question de « liens transgénérationnels ».
Le comportement des individus au sein de la famille est structuré par deux systèmes de comptabilité :
– celui du pouvoir et
– celui des obligations.
Prenons le cas d’une jeune fille qui se demande si elle peut se marier et avoir des enfants ou épouser le veuf de sa sœur et élever les enfants qu’elle a laissés parce qu’elle le lui doit bien : « Chez eux ça s’est toujours fait! »
L’injustice vécue dans les familles est souvent la conséquence d’un fait banal apparemment : héritage qui échoit à l’un : geste signifiant aux dépens des autres. Alors qu’on en soit le bénéficiaire ou le lésé, on se le rappelle et on le rappelle à ses enfants sur plusieurs générations. La fille aînée ressent souvent une injustice vécue par rapport à son frère puîné considéré comme l’aîné car « fils aîné ». Il existe comme une « attente-quant-au-rôle. »
L’individu est soumis aux injonctions des attentes externes et des obligations intériorisées qui peuvent être les mêmes ou qui peuvent être différentes. Faillir aux obligations mène à des sentiments de culpabilité. Or, chacun a besoin d’harmonie interne appelée encore consonance.
LA DISSONANCE COGNITIVE
C’est le tiraillement de l’individu entre les différentes injonctions. Il y a des gens plus ou moins tolérants à la dissonance. Certains trichent et mentent ou se mentent plus facilement que d’autres. Il y a des gens sincèrement pas lucides sur eux-mêmes, qui trichent et mentent sans s’en rendre compte. Ainsi le seuil de tolérance à la dissonance varie d’un individu à l’autre.
En somme, la loyauté familiale fonctionne par la reconnaissance de l’intérêt du fait d’être membre de ce groupe familial, par des sentiments d’obligation consciemment reconnus et aussi par l’obligation inconsciente d’appartenance à ce groupe familial. Quoiqu’il en soit, les membres sont tous enfermés dans une structure d’attente.
Autre fait découlant des liens transgénérationnels :
DES CADEAUX AVEC LES DENTS
Beaucoup de parents maintiennent leurs enfants dans des liens en évoquant tous les sacrifices qu’ils ont faits pour eux. Les enfants se sentent liés par des obligations qui sont appelées en Afrique « des cadeaux avec les dents » ; cela peut aller jusqu’à une reconnaissance éternelle, une servitude. C’est la dette de loyauté. Bien entendu, cette loyauté amène parfois à des « sacs de nœuds », des problèmes insolubles ou difficiles dans les mariages, surtout entre époux d’origine différente.
Les enfants issus de mariages interraciaux ou interreligieux ne se retrouvent plus face à leur loyauté familiale. Si vous venez d’une, ou avez une famille interreligieuse, interraciale, interethnique, interculturelle, où sont vos loyautés ?
Les différentes loyautés socio-culturelles sont aussi sources de conflit quant à la loyauté familiale.
Des complications surgissent quand il s’agit d’enfants abandonnés et adoptés. Aux problèmes dus à la carence affective, à l’abandon ou au rejet s’ajoute le problème de l’adoption, du vécu de la famille d’accueil ou de la famille adoptive.
Le cas d’un jeune homme de dix-neuf ans délinquant est cité en exemple. Il commet des délits mineurs. Son histoire révèle qu’il a été abandonné quelques mois après sa naissance. Il a séjourné dans plusieurs orphelinats puis dans des institutions pour épileptiques ; Il nourrit alors une rancune envers ses parents inconnus. Lorsqu’il arrive à retrouver sa mère, par hasard, il ne lui démontre que de l’agressivité. Le thérapeute lui demande de faire l’effort de comprendre ce qui s‘est passé avec sa mère, pourquoi elle l’a abandonné. Il apprend alors qu’il est l’enfant d’un père de passage qui a abandonné sa mère alors qu’elle était très jeune. Son fils étant malade, elle a dû l’abandonner à l’hôpital pour lui sauver la vie, parce qu’elle n’aurait pas pu payer les frais médicaux. Les services sociaux étaient donc intervenus et l’avaient pris en charge. Ayant compris, il changea de comportement vis-à-vis de sa mère et de la société. La compréhension du contexte a transformé le sens et pansé la blessure.
Le génosociogramme met aussi en évidence des règles de famille :
DES REGLES DE FAMILLE
- règle des soignants et des soignés
- l’aîné n’est pas le premier enfant mais le premier fils
- c’est le fils qui doit faire des études
- égalité entre les enfants
- le fils se marie mais habite avec les parents, reprend les affaires familiales
- les générations cohabitent sous le même toit
- on fabrique un aîné qui reprend les affaires familiales.
Ainsi par exemple, depuis trois cents ans, l’aîné, dans une famille de Bretons s’appelle Yves-Marie. Mais voilà que cette fois, l’aîné s’appelle Jacques et le deuxième Yves-Marie. Et c’est sur ce dernier que toute la famille se repose. Mais il a du mal à assumer ce rôle. Il a des enfants, n’arrive pas à se marier. Lors d’un accident de voiture presque mortel, il en parle, découvre les secrets et les non-dits de sa famille et recommence une nouvelle vie, sa vie.
NEVROSE DES CLASSES – ECHEC SCOLAIRE
Il est difficile à un bon fils ou à une bonne fille de dépasser le niveau d’étude de son père. La promotion sociale risquerait de créer une distance ou une déchirure entre lui et sa famille. Pour éviter de créer des souffrances, de l’éloignement et un sentiment d’infidélité, il renonce par un acte manqué à franchir cette barrière que les siens n’ont pu franchir. Ce faisant, il répond au double message : « Fais comme moi, surtout ne fais pas comme moi ».
La fidélité aux ancêtres, devenue inconsciente ou invisible nous gouverne. Il est important de la rendre visible, d’en prendre conscience, de comprendre ce qui nous gouverne, ce qui nous oblige pour recadrer cette loyauté et redevenir libre de vivre sa vie.
« Les parents ont mangé les raisins verts et les enfants en ont eu les dents agacées », est-il écrit dans la Bible.
Autre manifestation du lien entre les générations :
LA CRYPTE ET LE FANTÔME
Nicolas Abraham et Maria Torök désignent par ces concepts les agissements de certains malades qui disent avoir fait certaines choses sans comprendre pourquoi, comme si c’était quelqu’un d’autre en eux qui agissait. Ce quelqu’un d’autre était alors désigné par le « fantôme » et le malade la « crypte ».
Ce comportement bizarre résulterait du fait que des actes inavouables (inceste, assassinat, viol, maladie honteuse…) ayant marqué la famille au cours d’une génération antérieure, seraient tenus secrets. Mais ces choses dont on a honte et que les parents concernés voudraient garder secrètes remonteraient de la tombe après une ou deux générations dans l’inconscient d’un membre de la famille et se manifesteraient dans des actes, des paroles bizarres.
Ceci peut être aussi un secret honteux d’un parent, un deuil indicible , une perte, une injustice qui se transmet de son inconscient à celui d’un enfant et ce, d’une génération à l’ autre. C’est comme si certains morts ne voulaient pas être oubliés ou qu’on oublie certains évènements. L’auteur illustre cette pensée en donnant l’exemple de la Passion du Christ, de certaines fêtes nationales qui rappellent des moments historiques.
Citons aussi le cas d’Arthur Rimbaud qui, hanté par le fantôme de son grand-père, serait parti en Afrique pour circuler partout disant qu’il fuyait la police militaire, se croyant déserteur du 47ème régiment d’infanterie, pour revenir mourir à Dole, ville natale de son grand-père qu’il confondait avec la sienne. Or, il n’avait jamais été militaire et le 47ème régiment était celui de son père.
Nicolas Abraham raconte aussi l’histoire d’un géologue amateur qui partait chaque dimanche ramasser des cailloux pour les casser et partait aussi chasser des papillons, les attrapait et les achevait dans un bocal de cyanure. Les recherches sur sa famille permirent de découvrir que son grand-père, qu’il n’avait jamais connu, avait été soupçonné d’avoir dévalisé une banque et avait été condamné à aller aux « Bataillons d’Afrique » casser des cailloux. Il avait ensuite été exécuté dans une chambre à gaz. Il exprimait donc un secret inavouable qu’il ne connaissait pas.
Toujours dues aux liens transgénérationnels :
LES REPETITIONS FAMILIALES : LE SYNDROME D’ANNIVERSAIRE
Quelques exemples nous aideront à mieux comprendre ce concept.
Revenons à Arthur Rimbaud : Il a été abandonné par son père à six ans. Son grand-père avait lui aussi été abandonné par son père au même âge. Répétition familiale ?
Autres histoires vraies :
L’ACCIDENT DU VEUF
Le mari de la secrétaire d’une association pour laquelle je travaille à Paris est un industriel et un homme fort sérieux, qui aime sa famille et beaucoup son père. Son père est un très jeune homme actif de 89 ans et qui , on ne sait pas pourquoi, a fait une chute sur un escalier roulant, est tombé sur la tête, ne va bien du tout, et supplie qu’on le laisse mourir. En quelque sorte, sa vie active est finie.
Si on porte un regard averti sur l’histoire de cette famille, on découvre des choses étonnantes. Le grand-père est sorti tout seul dans la rue un 26 octobre. Il a pris le métro, s’est rendu aux Galeries Lafayette : il a pris l’escalator et il est tombé sur la tête, en dégringolant tout un étage. Si on cherche des points clés familiaux et si on regarde ce qui s’est passé pour sa femme, on voit qu’elle est morte un 26 octobre, 10 ans auparavant ; on se rend compte alors que le vieux grand-père est tombé sur la tête le jour de la mort de sa femme. Pur hasard ? Coïncidence ?
LA MALADIE DE L’ENFANT ADOPTE
Une jeune femme ayant souffert de la « maladie bleue » (maladie cardiaque, risque de transmission génétique héréditaire), mais qui va bien, après avoir été opéré, ainsi que sa grand-mère (elle aussi opérée de la maladie bleue) décide de se marier, mais de ne pas avoir d’enfants, pour ne pas risquer de transmettre la maladie.
Toutefois, son mari et elle décident d’adopter un enfant.
On leur propose un enfant qui vit aux Indes, et dont on ne sait rien, sauf qu’il est orphelin. Ils acceptent. C’est un très beau bébé. Peu après son arrivée en France, ils découvrent qu’il est malade : il s’agit de la même « maladie bleue » – la même qu’avait cette jeune femme – et qu’elle ne voulait pas prendre le risque de transmettre génétiquement. L’enfant sera opéré, par hasard, par le même chirurgien, dans le même hôpital, et à la même date qu’elle, plusieurs années plus tôt (ce sont les services hospitaliers qui proposent la date de l’opération).
Coïncidence, bien sûr, mais coïncidence curieuse, cette répétition « quasi familiale » de maladie et de dates d’intervention, pour un enfant adopté et aimé « comme le sien propre » et qui a « toujours fait partie de la famille ».
Selon Joséphine Hildegard, le déclenchement d’une psychose à l’âge adulte est souvent lié à une répétition familiale inconsciente d’un évènement traumatisant.
L’inconscient a bonne mémoire et marque les évènements importants du cycle de vie par répétition de date ou d’âge.
LE SYNDROME D’ANNIVERSAIRE
Beaucoup d’enfants naissent à la date de la naissance ou de la mort de leur grand-mère maternelle (date signifiante). On dénote une fragilisation physique et psychique chez certains patients aux périodes anniversaires et des manifestations de symptômes peu clairs.
C’est comme une forme de fidélité invisible. Le syndrome d’anniversaire est un cas de répétition d’un événement à la même date ou au même âge qu’un autre événement familial ou d’infinie répétition du même événement sur plusieurs générations et parfois dans la même vie d’une et même personne. Parfois c’est un évènement heureux parfois c’est un évènement traumatisant et difficile pour la famille.
Un exemple : une étudiante fait son génosociogramme à l’Université de Nice. Elle découvre comme une réaction en chaîne dans sa famille : sa mère est morte du cancer un 12 Mai. L’année suivante, son oncle eut un accident mortel le 12 Mai. Sa grand-mère était morte de mort naturelle un 12 Mai. Son grand-père était mort dans un accident un 12 Mai. Son grand-oncle, parrain du grand-père avait été tué à la guerre un 12 Mai. Elle même se sentait mal au printemps, respirait avec difficulté et devait être opérée un 12 Mai, date fixée par hasard par le chirurgien. Mais trop, c’était trop pour elle. Elle demande à repousser la date de l’opération qui réussit !
DES ENFANTS DE REMPLACEMENT naissent jour pour jour à la date de naissance de décès ou d’enterrement d’un enfant précédent dont la mère n’a pas fait le deuil. Ces enfants sont souvent sujets à la schizophrénie.
De nombreux cas de REPETITION d’accident et de maladie sont observés dans la lignée de certaines personnes. Tout se passe comme si on ne pouvait pas oublier un événement de vie, ni l’oublier, ni en parler, mais le transmettre sans le dire.
Citons le cas de Charles qui a un cancer des testicules. Il a trente-neuf ans. Il se fait opérer. Tout va bien. Six mois après, il fait une rechute avec des métastases aux poumons. Il refuse la chimiothérapie et tout autre traitement. Il est marié et a une fille de neuf ans. Pourquoi a-t-il accepté l’opération et refuse t-il la chimiothérapie et tous les soins ? On discute avec lui et on remonte dans son arbre généalogique. Son père est boucher, le couteau lui est familier : il a accepté l’opération.
Mais son grand-père est mort à trente-neuf ans d’un coup de pied de chameau aux testicules, laissant un enfant de neuf ans. Il s’apprête donc à mourir à trente-neuf ans au même âge que son grand-père, atteint au même endroit dans son corps. Sa mère aussi a été orpheline. Le père de sa mère est mort à trente-neuf ans et demi, gazé pendant la guerre. Voilà pourquoi il refuse la chimiothérapie mais est prêt à mourir atteint aux testicules et aux poumons comme ses deux grands-pères. Hasard ou loyauté familiale ?
De nombreux cas de répétition d’accident de voiture pourraient être cités.
Arrêtons-nous plutôt au cas de la famille de Mortelac. Dans cette famille, sur plus de mille ans, à chaque génération, un enfant de trois ans ou moins meurt dans l’eau, le lac, la mare ou l’étang. Jean de Mortelac qui relate ces faits avait résolu ce problème en ne se mariant pas et en n’ayant pas d’enfant. Leur nom indique qu’il y a eu probablement à l’origine une mort brutale marquante par noyade dans la famille. Mais comment expliquer la répétition ?
L’INCESTE GENEALOGIQUE semble être aussi la cause de répétition de mort sur plusieurs générations. Ainsi l’illustre cette histoire: il y a plus d’un siècle, un petit garçon et une petite fille trouvés, élevés pendant un temps ensemble par la même mère nourricière, se sont mariés. Ils n’étaient pas réellement frère et sœur ; ils n’étaient même pas légalement adoptés par cette famille ; ils n’étaient même pas frère de lait, seulement élevés pendant quelques temps par la même nourrice. Il n’y a donc pas « d’inceste ». Ils avaient seulement été élevés ensemble.
C’est l’inceste généalogique.
Parmi leur descendants beaucoup de ceux qui s’appelaient Lucien comme le père sont morts par accident. Pourquoi ? Tout se passe comme si dans cette famille, on voulait se punir de cet inceste « généalogique » et non pas « réel », en donnant et redonnant le prénom de Lucien et en se « punissant » par une mort accidentelle répétitive. Cette chaîne fut rompue par un travail transgénérationnel.
PREDICTION, MALEDICTION, PAROLE FORTE ont-elles vraiment un effet sur le déroulement d’une vie?
Prenons une histoire familiale :
Des paysans avaient caché un prêtre pendant la Terreur et la Révolution. En remerciement il les avait bénis et leur avait dit : « l’aîné de chaque génération veillera sur vous. ». Depuis, par hasard, depuis deux siècles l’aîné de chaque génération serait devenu un « petit ange au ciel » qui aurait veillé sur eux. Il avait fallu recadrer cette parole forte pour arrêter cette chaîne. Il y a plusieurs manières de veiller sur sa famille : en étant un soignant (médecin, infirmière, pharmacien) un citoyen utile et aidant (boulanger…).
Qui sait, se dit l’auteur, si l’effet ne provient pas de ce que la parole crée le néfaste, la mort, l’accident dans l’esprit des gens et les rendent donc possibles, prévisibles.
SECRET SUR LA MORT DES PARENTS ET SUR SON ORIGINE
Aux enfants de déportés, on n’avait pas dit la vérité sur le sort de leurs parents. On leur avait dit que maman et papa étaient partis en voyage et on leur avait interdit de parler d’eux. La recherche a montré que sur trois générations, ces enfants et leurs familles sont porteurs de cauchemars et de traumatismes qu’ils n’arrivent pas à dépasser.
Pour Claudine Veigh, le non-dit de la mort a empêché un fonctionnement psychique normal. Il vaut mieux savoir une vérité même difficile que de la cacher car ce secret devient un traumatisme plus grave à long terme.
LE SECRET EST TOUJOURS UN PROBLEME !
Le problème des résidus de l’esclavage n’est pas encore terminé, ni le ressentiment des Noirs contre les Blancs malgré l’égalité des droits civils.
Une partie des problèmes des gens provient du fait d’appartenir à une famille exclue et effacée, mono-parentale ou reconstituée. C’est le cas des enfants bâtards, naturels.
Hergé, auteur des albums « Tintin », aurait souffert d’une généalogie ambiguë, son père était l’enfant naturel d’un noble, ce dont Georges Rémi (R.G.) se serait guéri en écrivant.
LA RESILIENCE
Les « enfants incassables » qui résistent à tout.
Certains enfants, sans père, et souvent sans père ni mère, sans famille , ni soutien, paraissent survivre envers et contre tout .
J. Bowlby et Boris Cyrulnik ont mis en évidence des succès éclatants familiaux et professionnels d’enfants « élevés » dans la rue ou dans des camps de concentration.
Il est possible que ces enfants survivent parce qu’ils ont en eux un ressort inné ou caché, lié à un fort élan vital, à une formidable énergie de vie qui leur permet de rebondir, parfois parce qu’ils ont su trouver des pères ou mères de remplacement, ou grands frères de substitution
Pour qualifier ces « enfants incassables », on a récemment forgé le terme de résilience, qui désigne la capacité à réussir, à s’en sortir, à vivre, à se développer en dépit de l’adversité (malgré l’empreinte psychologique, voire biologique laissée par le traumatisme et la blessure).
Mais c’est pour leurs descendants que le problème se pose, car le traumatisme transmis est bien plus fort que le traumatisme reçu.
LA THERAPIE ET LE ROLE DU THERAPEUTE
Le rôle du thérapeute est d’accompagner son client en l’aidant à retrouver son histoire par la parole, à pouvoir se la représenter de façon cohérente, à en voir le fil et le sens. L’enjeu est de le sortir du chaos, de l’impensé, de l’indicible, du non-dit et de la répétition. On ne peut « repartir du bon pied » et « tourner la page » qu’une fois la page mise en évidence et l’ardoise effacée.
METHODES
Si on guérit un individu sans toucher à l’ensemble de la famille, si on n’a pas compris les répétitions transgénérationnelles, on n’a pas fait grand-chose en thérapie. Pour que les gens changent vraiment et de façon durable, il faut que le système familial social et professionnel les laisse changer, que les croyances changent.
Le thérapeute doit :
- comprendre les règles de la famille
- amener la famille à prendre conscience des idées fausses et en particulier des reliquats du passé
- restituer une éthique des relations transgénérationnelles
- établir une carte synchrone des évènements familiaux
- faire l’observation synchronique et diachronique sur plusieurs générations
- faire un travail d’écoute, d’observation, de communication verbale et non verbale
- comprendre l’expression indirecte des sentiments par le langage du corps, la posture, le rythme respiratoire, les couleurs… percevoir tout signifiant
- entrer dans le monde personnel du client, voir par ses yeux, écouter avec la 3ème oreille
- mettre en évidence la loyauté familiale ou l’identification avec un membre de la famille décédé
- mettre à jour les rancunes
- passer d’une écoute attentive à un dialogue actif
- l’aider à bâtir son génosociogramme à partir de son arbre généalogique.
CONCLUSION
En l’état actuel des connaissances, l’incursion dans le génosociogramme et le transgénérationnel ne peut que déboucher sur un travail clinique visant à repérer les répétitions familiales pour les arrêter au besoin, et les dégâts des non-dits pour les réparer et les transcender. Ce travail permet au sujet de se poser des questions vitales.
La transmission, quant à elle, demeure pour le moment sous le signe de l’inconnu et de l’interrogation.
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Ce résumé est extrait du site : Relation d’aide